bonheur en tranches

Et si le bonheur des uns faisait aussi le bonheur des autres…


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Du bonheur liquide

Ce n’est pas que je déteste la campagne, ni la forêt.
Disons qu’elles et moi, on vit une vieille relation d’amour-haine.

Le Petit et moi, nous étions invités à la campagne chez mon meilleur ami, sa femme, et leur fils. Un magnifique chalet serti entre de dignes arbres élancés.
Lui sait tout faire de ses mains et a tout rénové comme un chef. Il s’enflamme devant son BBQ, et nous régale.
Elle a beaucoup de goût et tous les objets qu’elle a choisi pour nous entourer invitent à la paix, à la joie, à la vie.
Et leur Petit qui danse entre les 2, en plein bonheur, difficile de faire mieux pour nous inspirer.

Mais dès que l’on passe la porte pour sortir, on trempe dans l’odeur de mousse humide, de bouleau pelé, de baies sauvages. Cette odeur de sous bois. Celle qui déteignait sur Papa tous ces week-ends de chalet de mon adolescence.
Papa et son odeur qui me manquent encore un peu trop cruellement.

Je sors. Et je retrouve les taons, les moustiques, les mouches à chevreuils,… Et je retrouve cette impression d’être le gros steak qui fait l’objet de leur convoitise. Ces petits bourdonnements anodins, moi, ils m’assourdissent.

On part à vélo. Le vent dans les cheveux, ça, oui! Et puis… Je ramolli. Mes guiboles de vieille dame qui sont restées en jachère depuis si longtemps à cause de toutes les petites misères que j’ai attrapées à la hanche, à la cheville, alouette… J’entends gémir mes pauvres cuisses qui surchauffent. Et ricaner les lutins qui chantonnent dans leur chariot, derrière Lui.

Puis, c’est le pédalo. Mes quadriceps pleurent en silence. Leur Petit, debout derrière moi, me comble de baisers-tout-doux-dans-le-cou.
Et mon lutin est heureux. Depuis le temps qu’il en rêvait de ce bateau magique! Il se décide à plonger dans le lac sombre. Et remonte comme foudroyé par la froideur de l’eau.

Tout le week-end, je m’accroche à mon tricot.
Un rang à l’endroit.
Je bois leurs rires d’enfants.
Un rang à l’envers.
Je savoure les discussions avec Elle, avec Lui, avec Eux.
Un rang à l’endroit.
Je partage les moments de leur quotidien, coupe la coriandre, le fromage, presse les limes, fabrique des crêpes.
Je m’imbibe doucement de tous ces bons moments.

Et: oui, je reviendrai!
Avec le Petit, malgré ses colères (il faut partager les jouets…) et le Grand (s’il ne travaille pas).
Et je me gaverai encore de ces bons moments avec ces amis adorables et adorés!

Et j’aurai tous ces souvenirs qui remonteront. Les fraises des bois me parleront encore de toi, Papa, et de ces heures passées, assaillis de soleil cuisant, à récolter ce que ton alchimie transformerait en confitures sauvages. Chaque bouquet de fleurs des champs me rappellera nos pique-niques en famille à la ferme de « Château Blanc ».
Chaque bonheur dans la verdure ravivera la blessure ouverte par ton départ.

Pas la mer.
Elle, elle est réconfort. Elle calme. Elle offre sans retenue cet horizon qui rassure. Elle chante un refrain qui hypnotise la peine. Elle a ce goût familier de salade de pommes de terre au sable, de baguette-beurre-plaquette-de-chocolat (oui, je sais… « But who’s counting? »). Elle a l’odeur de l’enfance dorée où le temps est élastique et l’amour intarissable. Sa chaleur est légère sous la brise. Ses baignades rafraîchissent mais ne glacent pas. Le soir, elle dévoile toutes les étoiles. Aucun obstacles entre elles et nous. Au besoin, elle propose le Mistral pour balayer l’inutile mélancolie.
Elle laisse un goût de sel, comme si on s’était baigné dans les larmes… Et que les larmes s’étaient taries.

Certains trouvent ce qu’ils cherchent au fond des bois.
Et je savoure leur compagnie, où qu’ils aillent.
Mais quand je suis seule, mon bonheur est liquide.

Mon grand bonheur est liquide, et il a un petit goût de sel.