bonheur en tranches

Et si le bonheur des uns faisait aussi le bonheur des autres…

Adouber le Père

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Tu as eu une nuit agitée. Tes sinus pleins t’empêchaient de respirer, de te reposer. À cheval entre une semie veille et le vrai sommeil, tu as passé de long moments à marmonner des incohérences que tu avais pourtant l’air de comprendre.
Inquiet, Papa t’a veillé, toute la nuit.
Au matin, comme tu n’étais pas assez en forme pour aller à la garderie, nous nous sommes offert un câlin familial, tous ensembles dans le grand lit. C’était doux, c’était calme. Tu étais si sage.
Et puis tout à coup, tu me lance, d’un ton embêté : « Maman, quand mes cheveux repoussent, J. à la garderie, il dit que j’ai l’air d’une fille ! »
Je te répète souvent que je te trouve beau, quand tes cheveux s’allongent. Ça te donne un petit air insoumis, comme une sorte d’insouciance aussi, un petit quelque chose du « surfer » heureux et libre. Moi, je craque ! De toute évidence, ce J., il ne sait pas de quoi il parle. Peut-être même est-il jaloux des regards que les autres posent sur toi ? Pour moi, peu importe la raison. J. se trompe !
Je réalise tout d’un coup que ton silence d’il y a une minute n’en était pas un de calme contentement… Tu ne te reposais pas, tu réfléchissais. Tu t’inquiétais.
Comment te rassurer, moi qui suis toujours inquiète pour toi ? Comment t’infuser la certitude que c’est l’autre qui se trompe, que toi, tu es très bien comme tu es ? Comment t’apprendre à te défendre quand je ne suis même pas sûre de savoir me défendre moi-même…
Moi : Tu sais, d’abord, être une fille, c’est plutôt un compliment ! Toi, tu n’as pas envie d’être beau comme une fille ?
Toi : Non ! Moi je veux être FORT, comme un gars !
Moi : Ah ! Je comprends ! Mais tu sais, les filles aussi, c’est fort ! Mais c’est vrai que toi, tu es un garçon… Tu n’as qu’à lui dire, à J., que c’est même pas drôle, ce qu’il dit !
Tu me regarde d’un air sceptique. Je lis dans tes yeux que ça ne va pas le faire, que ça risque même d’être largement insuffisant.
Je repense à ma Maman qui me racontait que, quand j’allais à la garderie, elle se faisait régulièrement convoquer par mes éducatrices : « il faut lui apprendre à se défendre à votre fille ! Les garçons la tapent, et elle les regarde d’un air ahuri… C’est tout juste si elle ne tend pas l’autre joue ! »
J’aimerai t’aider, mais l’intimidation, c’est clairement pas mon département… Je sens que je m’enfonce…
Heureusement, il y a Papa !
Lui, sur le ton de la confidence : La prochaine fois qu’il te dit ça, tu peux lui répondre : « T’as besoin de lunettes, Patate ?! »
Il l’a dit d’un ton ferme, presque menaçant. Ça, ça t’a plu ! Je vois dans ton sourire que tu as bien envie d’adopter cette réponse un peu plus virile ! Et puis, Patate, c’est un légume. Ça ne rentre pas dans la catégorie des grosses insultes qui risquent de vous attirer des conséquences, de vous envoyer au coin. Patate, c’est « safe ».
Vendu !
Dans les heures qui suivent, ton Papa trouve toutes les occasions qui se présentent, au détour de nos jeux, pour t’apprendre à utiliser cette nouvelle arme. Il t’exerce le réflexe, il s’assure que la petite phrase assassine sera à porté de bouche au moment où tu en auras besoin. Je fais semblant de ne pas t’entendre, pour te taquiner ? Il te propose « t’as besoin d’un cornet auditif, Patate ? » Il te fait une blagounette et feint de cacher ton assiette ? Il te suggère un « bas les pattes, Patate ! »
Tu es ravi ! Ton visage s’illumine et on voit dans tes yeux que tu as compris. Que tu crois, que tu SAIS que tu peux t’en sortir seul. Que rien n’y personne ne pourra plus t’atteindre. Tu es devenu invincible !
Comme tu es beau, les cheveux longs et invincible !
Il y aura surement un jour un plus grand, un plus bête, pour discréditer ta nouvelle petite ruse. Tu seras de nouveau inquiet et tu te demanderas comment tu pourras t’en sortir. J’espère alors que tu te rappelleras de Papa. Que tu lui demanderas encore conseil. Que vous trouverez, ensemble, un moyen de te redonner tes moyens. Des mots qui t’aideront à redresser le menton, à clouer le bec des petits comiques qui te cherchent des noises. À t’éloigner la tête haute et les poings dans les poches.
Surtout, les poings dans les poches.
Parce qu’il n’y a rien de plus fort que de se battre avec sa tête. Pas de plus gros impact que ceux des mots. Pas de plus grande victoire que celle de ton intelligence.
Et heureusement, même si ta Maman n’est pas toujours la reine de la ruse stratégique, il y aura toujours Papa pour t’apprendre ces choses importantes.
Ce matin, j’avais envie de l’adouber, ce super Papa !
Merci, mon amour ! J’admire la dextérité avec laquelle tu façonnes l’estime de soit de notre précieux lutin !

2 avis sur « Adouber le Père »

  1. C’est beau de transformer l’éducation en jeu d’enfant…C’est bien fait…bien dit…et bien apprécié.
    Tendresse, JAC

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  2. Merci ma chérie, je vous félicite tous les deux pour ce moment magique. Quelle belle revanche sur ta jeunesse a toi. Ce petit Tom vous rapproche et c’est super aussi pour le moral de papa. C’est toujours touchant tout ce que tu écris et tellement poétiquement rendu. Je suis très fière d’avoir une tout petit peu contribué, a ton éducation…. bizzs, maman

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